oreille nationale

Avez-vous entendu parler de l’oreille nationale ? Ce filtre qui facilite ou rend plus difficile l’apprentissage de langues étrangères ? Si non, vous connaissez certainement ce cliché qui dit que les Français sont peu doués pour les langues. Selon le linguiste Claude Hagège, il résulte principalement des facteurs suivants. L’un est culturel : les Français ont peur du ridicule, et, en conséquences, ils évitent d’utiliser des langues qu’ils ne maîtrisent pas correctement. Le second relève de la prononciation de langues étrangères, difficile en raison de l’oreille nationale française.

Nos habitudes articulatoires

Quand nous parlons une langue, nous utilisons certains organes de notre corps (langue, lèvres, dents…) d’une façon spécifique qui lui est propre. Nous acquérons cette manière de faire et nous la pratiquons pour qu’elle devienne pour nous naturelle.

Cela signifie qu’une fois nos organes y sont habitués, ils deviennent, en général, moins aptes à être utilisés d’une manière différente. Par exemple, pour une langue nécessitant des articulations éloignées de celles que nous avons acquises.

La façon de prononcer est donc propre à chaque communauté. Elle fait partie de ses gestes culturels. L’enfant qui apprend à parler, imite les personnes de son entourage. Il s’agit pour lui de former ses habitudes articulatoires (acquises dès l’enfance) qui détermineront sa capacité de prononcer les sons.

L’acquisition des habitudes articulatoires est plus simple dans l’enfance également pour d’autres raisons. L’enfant qui découvre le monde, a une très grande envie d’apprendre, il est donc plus ouvert aux stimuli autour de lui. Contrairement aux adultes, il ne ressent pas de pression sociale qui l’empêcherait de reproduire des gestes avec sa langue, ses lèvres… par crainte de ridicule.

L’oreille nationale

Comme souligne Claude Hagège* : « Au-delà de dix ou onze ans, la fossilisation des aptitudes non stimulées n’est guère réversible. En effet, vers cet âge, l’oreille, jusqu’à là organe normal d’audition, devient nationale. » L’oreille nationale fonctionne comme un filtre : elle n’accepte que les sons des langues auxquelles l’enfant a été exposé jusqu’à là. (Au lieu de traiter tous les sons perçus de la même manière.)

Selon la langue que nous maîtrisons, nous avons plus ou moins de mal à percevoir et à reproduire correctement certains sons qui n’en font pas partie. (D’où l’accent étranger.) En nous référant à notre langue maternelle, nous interprétons ce que nous entendons et nous produisons un son qui ressemble le plus à ceux que nous connaissons déjà.

Cependant, pour les Français il existe une difficulté supplémentaire liée au profil phonétique spécifique de la langue française.

Le profil phonétique de la langue française

La langue française possède entre 36 et 39 phonèmes (selon différentes sources). C’est par ces phonèmes acquis dans l’enfance qu’un Français exposé à une seule langue interprète les sons qu’il entend. Cependant, même si le nombre de phonèmes n’est pas moins important que dans d’autres langues européennes, certains sons présents dans d’autres langues courantes, sont absents de la langue française. Il s’agit, entre autres, des consonnes interdentales comme « th » (« they » ou « thick »), du « r » roulé, du « i » (« kid », « little »), du « h » (expiré et non pas « aspiré »)…

En plus, une autre difficulté pour les Français souhaitant parler des langues étrangère s’y rajoute. C’est l’accent tonique des dernières syllabes en français. Il constitue pour de nombreux Français un obstacle insurmontable… Au point qu’il est devenu le signe distinctif de l’accent français dans les langues étrangères, particulièrement en anglais.

Faciliter l’apprentissage de langues étrangères

Pourquoi j’en parle ? Pour indiquer un bénéfice important lié à la connaissance de langues minoritaires par nos enfants. Je sais, grâce aux mamans avec lesquelles je travaille (dans le cadre de mon programme d’accompagnement) que les parents manquent parfois de soutien de la part d’autres membres de la famille (y compris leurs conjoints…). J’entends parler de « langues moins nobles » ou « inutiles »… Si certains restent fermés aux bénéfices émotionnels du bilinguisme, un argument du type « réussite sociale » peut s’avérer plus convaincant. En apprenant dès le plus jeune âge leur langue minoritaire, nos enfants élargissent de façon importante la gamme de phonèmes qu’ils maîtriseront. Cela leur facilitera l’acquisition de langue étrangère au niveau de la prononciation.

En outre, grâce au contact avec au moins deux langues dans leur enfance, ils développent une conscience métalinguistique. Grâce à la compréhension de la façon dont fonctionne le langage, il leur est plus facile d’apprendre de nouvelles langues. Qui dit plusieurs langues, dit plus de possibilités de carrière… Un argument qui pourrait faire basculer certaines réticences ?

*Source : Claude Hagège « L’enfant aux deux langues », Editions Odile Jacob, Paris, 1996

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