
Selon le principe de complémentarité, pour la plupart des personnes bilingues, il est plus facile d’aborder certains sujets dans une langue et d’autres sujets dans l’autre. Il existe aussi des thèmes dont elles peuvent parler dans leurs deux langues avec une aisance comparable. Ainsi, tout naturellement, chacune des langues possède-t-elle un champ d’utilisation (qui peuvent se pénétrer) formé au fil des expériences vécues par la personne.
Développement de chacune des langues
Nous développons notre maîtrise de la langue au fur et à mesure que nous l’utilisons. Plus nous avons d’occasions de la pratiquer et avec des interlocuteurs différents, plus elle s’enrichit. Notre vocabulaire et la syntaxe deviennent plus importants et développés, notre aisance augmente. Mais qu’est-ce qui se passe quand une des langues est plus utilisée, par exemple, dans le contexte familial et l’autre dans le contexte professionnel ? Dans ce cas-là, nous perfectionnons nos langues chacune dans un domaine spécifique, ce qui contribue à un déséquilibre entre elles.
Bien évidemment, certains de ces champs se rejoignent plus ou moins souvent. Suivant l’exemple donné : il est rare de ne pas jamais évoquer le travail et sa vie familiale dans l’autre langue. Cependant, certaines habitudes, acquises dans une langue, sont devenues automatiques : compter, prier, jurer… Il est souvent difficile de les acquérir dans la même mesure dans l’autre langue, elles sont si profondément ancrées dans notre inconscience.
Principe de complémentarité et le niveau général de la langue
Plus des domaines de la vie couvre une langue (langue A), plus sa maîtrise chez la personne est forte. Elle est capable d’aborder plus de thèmes dans cette langue et communiquer avec aisance dans plus de situations. Avec le temps, elle acquière un niveau général élevé de la langue. En revanche, plus la langue (langue B) est utilisée dans des domaines bien spécifiques et exclusifs, plus elle est spécialisée et son champ d’application est réduit. La spécialisation de la langue la prive de son ampleur et renferme dans certains espaces thématiques qu’il est difficile de quitter. D’autant plus que la langue A devient le moyen principal de communication dans le reste des domaines. Il n’y a donc pas de besoin urgent pour que la langue B se développe.
Notre langue, notre identité
Les personnes multilingues ne sont pas la somme des personnes monolingues. Elles ont leur propre identité linguistique, basée sur le principe de complémentarité. Elles utilisent leurs langues selon leurs besoins : différents contextes, différentes personnes. Cette manière de faire est tellement ancrée en elles qu’elles seraient incapables de renoncer à une de leurs langues. Cela signifierait pour elles d’être coupées de leurs ressources naturelles et indispensables sur lesquelles elle ont construit leur identité. Tout équilibre identitaire se trouverait perturbée.
Source : François Grosjean « Parler plusieurs langues »
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